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Daniel Kawka

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Être chef d’orchestre, entre profondeur et flamboyance

 

En poursuivant depuis deux décennies déjà un idéal artistique à travers l’activité de chef d’orchestre, une vérité m’apparait aujourd’hui, seul compte, par-delà la technique, le rôle, la fonction et l’incarnation sociale du chef d’orchestre, son « être à la musique » qui fait de lui une authentique artisan des sons, un faiseur, un passeur, un porteur de rêve et d’idéal ; Constat simple mais souvent contredit et occulté par l‘apparat, la fonction, l’artifice, les conventions et l’apparence, fantasmes liés à l’image du chef omnipotent.

Le musicien dans sa relation à l’instrument, le « conductor » à l’orchestre, a cette double présence « tactile » et ineffable au matériau, un matériau brut, ployé, poétisé. C’est bien cette relation immédiate et charnelle au son, cet engagement sensoriel, sensible et physique dans la matière organique et organisée de la musique, qu’il m’intéresse de poursuivre et développer. Par-delà le message poétique, philosophique… de l’œuvre, commué en un langage sonore et musical, décodable et transmissible, la musique représente avant tout pour moi un art brut, art du premier degré qui « intègre » et nous lie à « la structure vibrante de l’univers ». Voilà donc une des raisons pour lesquelles l’interprétation des musiques de notre temps a occupé une telle place dans mon cheminement musical. Contrairement aux idées reçues, la musique dite « contemporaine » est tout sauf un complexe rhétorique : incroyable et inestimable croisement de pensées, stratification d’inventions puissamment structurées, d’imaginaires conceptuels simples ou complexes, d’une poétique du sonore, aérienne et mouvante à l’image de notre monde. Du fait de cette « dimension au premier degré » plus prégnante encore, d’une relation au son plus immédiate, nul besoin de connaissances préalables pour percevoir, sentir et recevoir en retour, « le choc de l’œuvre » : « Il n’est pas indispensable, écrivait Tapiès, lorsqu’on contemple un tableau, qu’on écoute de la musique ou qu’on lit un poème, de faire une analyse de ces œuvres. C’est déjà beaucoup que le spectateur accepte le choc de l’œuvre et les résonances, même confuses qu’elle éveille dans son esprit. L’art agit sur toute l’étendue de notre sensibilité, et non sur notre seul intellect ».

L’Art, la musique en particulier est bien source de connaissance, support de la méditation, indicible certes mais si fortement incarnée aussi, lieu de partage d’une haute valeur spirituelle. C’est cette idée centrale de « don absolu de soi » (échange d’énergie, transfert poétique, restitution la plus fidèle possible de l’esprit des œuvres, communication immédiate avec l’auditeur), qui constitue pour moi l’essence même du métier de chef d’orchestre.

Mes aspirations originelles et mon évolution bien naturelle vers le grand répertoire symphonique et lyrique, comme vers d’autres formes plus… « métissées », n’est ni mutation de goût, ni changement radical de cap mais correspond à l’aboutissement logique d’un long cheminement, où styles, périodes, genres abordés se rencontrent dans un geste interprétatif cohérent, et fusionnent : voile soulevé d’une utopie, celle de l’immersion absolue au cœur des œuvres, celle d’une quête possible/impossible d’universalité. 

Un cheminement qui conduit enfin au désir impérieux de synthèse, projet longtemps caressé après les parcours « prismatiques » de cette décennie, parcours imposés de fait par les systèmes de diffusion, l’écueil des classifications, les cadres institutionnels aussi ; en effet diriger un ensemble de musique contemporaine, être en poste à la tête d’une grande formation symphonique, mener parallèlement une carrière de chef invité, organiser  des manifestations festivalières, instiller des idées, créer et diriger un orchestre symphonique novateur, ne représentent que les différentes pièces d’un même puzzle, les outils d’un même et obsessionnel désir « être à la musique », vivre au quotidien au contact partagé des œuvres, au contact charnel de l’orchestre.

Il faut pour cela si nécessaire, imaginer et créer, par-delà les pesanteurs, (les habitudes surtout, les outils périmés, les lieux communs), les outils de nos rêves, les plus adaptés à notre temps, en phase avec les rêves d’autrui, bien au-delà des classifications si réductrices.

Ose ! fût avec l’EOC l’un de ces outils. En ces termes j’exprimais ce désir, toujours actuel, embrassant aujourd’hui d’autres sillages :

« je pense et conçoit actuellement cet outil, souple, polyvalent dans les répertoires, inventif dans ses formes de représentation, transversal dans ses modes de diffusion, rigoureux dans son approche du musical, une formation symphonique qui fonctionnera dans l’esprit de la musique de chambre. Osons ! car « C’est pour nous un devoir vital (c’est à Tapiès encore une fois, peintre avec lequel j’entre aujourd’hui en si parfaite résonance) que j’emprunte ces quelques mots pour conclure ce portrait), que de tourner le dos bien des aspects du monde actuel, de les nier, de nous refuser à les accepter, sous quelque auréole prestigieuse ou sacrée qu’on nous les présente. Notre destin est en jeu : faire survivre l’ignorance et les mythes trompeurs ou bien chercher la connaissance et le bonheur. Cette alternative vaut que nous lui consacrions toute notre vie ; elle vaut l’aventure et le risque de passer pour un illuminé (…).

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